C’est Marseille, Bébé !

Saint-Charles, 2mn d’arrêt

Le premier été du Covid, en 2020, non seulement j’attrapai le Covid et ça m’avait obligée à rester chez moi 15 jours quand tout le monde redécouvrait le bonheur des bars, des restos et des plages après quatre mois de disette sociale, mais en plus je n’étais plus membre du Cercle des Nageurs depuis le début de l’année.

Le premier été du Covid, une fois sortie de mon isolement et ma désolation, je tournais vraiment en rond d’un point de vue sportif : ma salle ne proposait qu’un cours moisi toutes les deux heures, sans accès aux sanitaires et avec obligation de désinfecter tous les adrets avant et après usage – je faisais déjà moyennement le ménage chez moi, c’était pas pour me le coller à la salle. S’agissant des cours à la TV, j’avais déjà donné tous les jours ou presque pendant le confinement. Quant au footing, il n’était plus envisageable, à cette époque de l’année, qu’avant 7h ou après 22h. Autant dire jamais.

Le premier été du Covid, et avant de finir en loukoum au fur et à mesure de la multiplication des apéros, je décidai donc de faire ce que je m’étais jurée mes grands dieux de ne jamais faire ici : aller nager à la piscine municipale. Et ce pour trois raisons au moins : petit a, sur les 22 piscines que nous avons à Marseille, seulement 9 sont encore en état de fonctionnement, voire 8 si Vallier, fraîchement retapée pourtant, n’a pas un n-ième problème de fuite de toit, de chauffage, d’eau, de carrelage, de peinture, de dentier coincé dans un skimmer ou de double de clefs oubliés à l’apéro au Bar de la Poste. Petit b, il n’y a aucun bassin de 50 mètres en dehors du Cercle et pour qui est plutôt accro aux distances plus qu’aux temps réalisés, 2km c’est long à compter, en longueurs… Petit C, tout ferme à 18h30.

J’ouvre une parenthèse parce que j’’entends déjà des voix dans le fond hurler (mais qui sont ces gens qui crient tout le temps dans le fond d’ailleurs ? Qui sont-ils ? Quels sont leurs projets ?) : oui, mais quitte à nous souler à longueur de journée avec Marseille, son soleil, ses plages, ses températures de Miami Beach même en hiver blablabla tu pourrais nager en mer et arrêter de nous souler. Alors, non. Parce que, non seulement, ça limiterait le plaisir d’écrire une chronique mais surtout, je vous invite, vous les voix du fond, à trouver la bonne plage, choisir un jour sans vent et sans pollution, aller nager avec votre clef de voiture dans un petit étui étanche acheté exeuprès au Vieux Plongeur et essayer de rouvrir votre auto alors que la clé n’a pas du tout aimé la baignade, même dans son étui exeuprès.  Oui ça sent le vécu. Fin de la parenthèse.

Comme il n’était pas question de me retrouver à brasser envahie d’enfants criards, d’ado vicelards et d’adultes crevards, je fis mes propres recherches comme on dit dans les soirées complotistes, sur les horaires d’ouvertures aux nageurs, à savoir 12h00-15h00.

Trois piscines étaient ouvertes cet été-là (s’agirait pas que les employés municipaux soient privés de vacances alors que ça faisait quatre mois qu’ils étaient payés à rester chez eux), dont Saint-Charles. Ah, la piscine Saint-Charles, en bas de chez moi. Ah Saint-Charles, où j’ai appris à nager avec Antoine et Jean-Claude qui doivent avoir 1000 ans aujourd’hui s’ils ne sont pas passés à l’Orient Eternel… Ah, Saint-Charles en bas de mon lycée éponyme, où j’avais passé mon bac natation. Vous l’aurez compris : au-delà d’une simple séance d’entrainement, c’était tout un pèlerinage qui m’attendait.

J’arrivai un peu avant midi sur les lieux. Bien m’en avait pris : un petit serpentin à la Disneyland m’attendait sur place, me faisant bien comprendre que je n’étais donc pas la seule à avoir eu cette merveilleuse idée de vouloir lancer mon corps dans une démarche qualité continue, comme dirait mon chéri. Et de compter les gens pour les répartir mentalement sur les six lignes du bassin : pas besoin de lancer un tableur excel ou une appli pour savoir que, à la louche, ça commençait à faire beaucoup.

Une fois à l’intérieur, quelle ne fut pas ma surprise de voir que les casiers étaient inaccessibles pour cause de Covid. En revanche, la douche, toujours obligatoire était maintenant surveillée par Jean-Pierre le Cerbère : comme si se doucher à l’eau avant d’aller nager allait repousser les bactéries covidiennes de leur éventuel porteur…

Soit.

Me félicitant d’être partie sans trop d’affaires, j’arrivai au bassin, posai mon petit barda et me rendis compte que mes estimations de répartition étaient bonnes. Ce jour-là, Saint-Charles, c’était le retour des Goudes le dimanche soir : vu d’en haut, ça ressemblait plus à un bassin de carpes chinoises à qui on aurait lancé un quignon de pain qu’à entraînement de nageurs.

Evidemment aucune ligne n’était réservée aux nageurs rapides, ce qui en soit n’était pas complètement idiot dans la mesure où tout le monde se serait pris pour Michael Phelps. A bien y réfléchir, c’était une ligne pour nageurs lents qu’il faudrait créer. Et de me dire que la cohabitation s’annonçait compliquée.

Je m’engouffrai donc dans le couloir le moins peuplé pour attaquer comme je le pouvais mon premier kilomètre de brasse. Ce qui devait arriver arriva, aussi sûrement qu’un dossier régime dans Cosmo à l’approche des vacances, qu’un faux éboueur à calendrier à l’approche de Noël ou qu’une manif anti-vax l’approche des tests PCR payants : en moins de cinq mouvements, j’avais rattrapé le type de devant pourtant en crawl. Alors loin de moi l’idée de toujours tout ramener du côté de la Corniche, mais rattraper quelqu’un, c’était clairement le genre de situations qui ne m’arrivait jamais au Cercle. Au Cercle, même les enfants vont plus vite que moi. Au Cercle, même les vieux, même ceux avec un très gros ventre, vont plus vite que moi. Au Cercle, y’a que les mamies en planche aux lèvres très rouge et au bonnet très fleuri que j’arrive à peu près à semer. Une fois je m’étais trouvée dans la piscine d’été avec Frédérick Bousquet : je n’avais pas fini mon premier mouvement de brasse qu’il était déjà au bout du bassin.

Dans cette piscine Saint-Charles, je jour-là, j’étais passée dans la catégorie JO quand, au Cercle, les autres membres me jetaient des palmes à la figure.

Cette joie liée à une estime de moi toute retrouvée ne dura cependant pas très longtemps : après avoir remonté le couloir n°4 une demi-douzaine de fois, dépassant l’amicale des nageurs du dimanche de Plan de Cuques, collant quelques coups de pieds au passage (oups, désolée, la brasse, ça prend de la place), je compris la solitude du saumon qui remonte, le printemps venu, sa rivière de Norvège ou d’Ecosse et croise toutes les autres espèces, se disant « Quelle bande de tocards. Tiens, toi, je te bouffe, pour la peine ». Quel ennui.

A partir de là, et dans la mesure où le dernier qui avait vu ma patience en action n’avait pas daigné me la ramener, je jetai l’éponge.

L’histoire aurait pu s’arrêter là et on était déjà bien, non ? Mais non, aussi sûrement qu’une pub SFR dans les années 2000, c’était pas fini.

Marmonnant dans ma barbe contre la Mairie de Marseille en général et mes revenus insuffisants pour le Cercle en particulier, maudissant le Saint Patron des nageurs jusqu’à sa descendance actuelle, j’enlevai mon bonnet, mes lunettes et me dirigeai vers les vestiaires pour une bonne douche.

Las…

Je n’avais pas encore appuyé sur le bouton automatique que Jean-Pierre le Cerbère sur sa chaise m’interpella : « la douche est fermée Madame à cause du Covid ». Cela me laissa perplexe. Un peu comme si on avait demandé à Nabila d’expliquer la théorie de la relativité. A cet instant précis, j’étais à peu près sûre d’avoir déjà croisé des vaches dont le regard aurait dévoilé plus d’intelligence que le mien. Je regardai Jean-Arnold et renonçais à quelque conversation ou argumentaire que ce soit : à la piscine à Marseille (et peut-être ailleurs, cela dit), ce premier été du Covid, cet été 2020, on n’avait pas le droit d’amener sa maladie dans le bassin. En revanche si par hasard on tombait dessus, on devait repartir avec.

  • Un covid SVP !
  • Sur place ?
  • Non c’est pour emporter…

Et quitter une piscine sans être passé par la case douche, c’est avoir l’impression de s’être baigné dans la Seine. Et croyez-moi, je sais de quoi je parle.

Je partis donc le cheveu collé au front avec cette odeur de chlore persistante et ça me donnait envie de crever dans une chanson de Francis Lalanne.

Force fut de constater que l’expérience ne fut pas vraiment concluante et que j’étais à deux doigts de demander un Cetelem pour me réinscrire au Cercle. Ce que je fis, l’année d’après.

« Chassez le naturel, il revient au galop ».

Isabelle A.D.R.

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