C’est Marseille, Bébé !
Nager en paix
Alors que je nageais beaucoup à Paris, lorsque je suis arrivée à Marseille j’ai presque arrêté. Je ne vais pas vous faire un énième couplet sur les coutumes locales en matière de piscine : le comique de répétition, c’est comme l’accordéon, ça va bien cinq minutes. J’ajouterai simplement qu’en 2015, je n’étais pas encore prête psychologiquement à vendre mon dernier rein pour financer une année d’abonnement au Cercle des nageurs. Sans compter qu’à l’époque, je n’avais pas les deux parrains nécessaires au soutien de ma candidature à cette institution que je pensais particulièrement huppée (alors qu’au final…)
Alors que je nageais beaucoup à Paris, et alors que j’avais complètement arrêté à Marseille, je me suis finalement dit, un plein été de plein soleil en plein farniente sur ma pleine terrasse que je pourrais peut-être profiter des éléments à disposition à savoir ledit soleil et la mer pour vaquer à mes occupations aquatiques. Sans compter que lesdits éléments présentent quand même le double avantage et de la gratuité et de la disponibilité H24. Sans horaire. Ni Parrain. Ni organe à proposer sur le Darkweb.
Alors présenté comme ça, ça a l’air simple, d’aller nager « à la mer » : comme si j’avais une maison au bord de l’eau avec un ponton ou comme si j’habitais dans une crique. Mais détrompez-vous, aller nager à la mer, c’est transformer une activité anodine en un sacré parcours du combattant. En Mud Race. Que dis-je, en Spartian Race. Voire en Fort Boyard, sans les lions.
Oui, parce qu’aller nager à la mer, c’est d’abord trouver la bonne plage : contrairement à Nice, Cannes ou l’Ile de la Jatte, l’eau n’est pas à portée de main, ici. C’est que Marseille, à l’instar de Dunkerque, est d’abord un port, avant d’être la deuxième ville de France (contrairement à Dunkerque) : le bord de mer a été privilégié pour les navires de croisières, ferrys, porte-conteneurs, gaziers, méthaniers et autres bateaux de plaisance plutôt que pour la baignade. Ainsi donc, si la façade maritime s’étend sur 57km de l’Estaque aux Calanques, pour trouver un petit coin pépouze pour se baigner avec un parking gratuit, il faut aller, comme on dit ici « en galère » : soit quelque part entre le cul du loup et le Diable Vauvert, entre l’une et l’autre des extrémités de la ville. Comme je n’avais pas l’intention de me fourvoyer à Corbières (plage qui comme tout ce qui porte ce nom, du vin au député, est bien pourrie), mon choix se porte donc sur la Calanque de Samena. Au sud, à l’entrée du Parc National. Les excités du fond, qu’on n’avait pas encore entendus, tiens, sont à deux doigts de me dire « Mais t’as qu’à y aller à vélo, espèce d’écolo à la manque ». Mais non, ce n’est pas possible … Et pourquoi ? Ben…
Parce qu’aller nager à la mer, c’est aussi trouver les bons outils : l’idée est d’y aller un peu quand l’envie m’en prend, comme pour un footing, donc seule, donc sans personne pour me garder mon sac. Et il n’est pas question de laisser quoi que ce soit sur le sable, au risque de ne jamais rien retrouver, pas même la vieille serviette à fleurs de Mamy, pas même un totebag de la French Tech. Devant l’obligation de tout laisser dans la voiture, se pose la question doublement fondamentale : et la clef électronique de la voiture, hein ? On en fait quoi, de la clef électronique de la voiture ? Non, les amis, je vous ai fondamentalement vu venir. Pas là. Ni là non plus. C’est pour trouver une réponse bienséante à cette question que je me retrouve au Vieux Plongeur. Oui, chez nous, on a le Vieux Campeur, mais on a aussi le Vieux Plongeur : sorte de paradis du nageur en eaux profondes et autre adepte d’activités nautiques en tout genre. Ma quête n’est pas compliquée : je cherche juste un étui étanche pour la clef du X1. Que je finis par trouver sous la forme d’un Minion en plastique, attachable autour du cou. Parfait.
Parce qu’aller nager à la mer, c’est, enfin, une logistique. Le jour J à l’heure H, j’enfile mon maillot, mon paréo et mes tongs, n’oublie pas mon étui et prends un sac pour mettre l’essentiel obligatoire (la triplette CB / clés / téléphone) à cacher dans le coffre à côté de l’autre triplette, la Obut, avant de partir : ne surtout pas ouvrir le coffre sur place, malheureux ! A ce stade, je vous accorde que ce n’est plus une organisation. C’est carrément un process de chez EY qui se dessine. Et de descendre à mon auto, priant pour ne croiser personne dans l’ascenseur dans cette tenue.
Quarante-cinq minutes et quelques embouteillages plus tard, je me gare à Samena, laisse paréo et tongs en vrac, ferme la voiture, mets la clef dans le Minion et file à l’eau.
Las. Elle est glacée. Mistral de tchouin qui l’a refroidie : j’ai omis cette possibilité avant de partir. Mais qu’importe : nager dans le froid, ça va me faire doublement du bien. Et puis ça m’apprendra à faire des prévisions météo en regardant par la fenêtre plutôt qu’avec Windguru.
Las. Elle est crade, aussi. Enfin, pas sale de papiers mais d’écume et d’algues, ce que je n’aime pas du tout. Je me force et commence à nager, hésitant entre le bonheur de sentir mes chairs se raffermir, mes rides se barrer, ma cellulite se cryogéniser et la crispation, voire l’énervement, à l’idée que je ne pourrais peut-être pas tenir très longtemps dans ces conditions.
Après quelques brasses, le souffle presque coupé et les orteils à deux doigts (!) de faire scission avec le reste du pied, je sors de l’eau et remonte pour me sécher. Ca suffit les conneries. Si ce n’est que je sors la clef pour ouvrir la voiture, appuie sur le bouton et… rien ne se passe. Je me rapproche, essaie tous les angles possibles. Pas mieux. J’essaie la technique de « mets un coup dedans » en tapant la clef contre un rocher : toujours rien.
Résumons la situation. Je suis en maillot. Pieds nus. A Samena. Devant ma voiture. Que je ne peux pas ouvrir. Sans téléphone (vu qu’il est dedans). Seule. A ce moment précis, mon cerveau ne vaut pas mieux qu’une usine à Shadocks : ça pompe, mais rien ne sort (Non ! vous ne direz rien là-dessus non plus). Puis je commence à envisager des hypothèses toutes aussi loufoques qu’improbables, les unes après les autres. La pire de toutes étant de partir à pied chez mes parents, à la Timone et de leur demander de me ramener chez moi en espérant qu’ils en aient les clefs. Samena – La Timone ? Au hasard, 15km, je pense. Aux trophées des idées à la con, dans la catégorie « mais sur un malentendu ça peut marcher », je viens de choper la médaille d’argent, l’or ayant été raflé par l’installation de feux rouges à la sortie des ronds-points (une spécialité Marseillaise de plus). Non, en y réfléchissant bien, j’aurais pu emprunter un téléphone et appeler quelqu’un … Encore faudrait-il que je connaisse encore un numéro par coeur…
Soupir. Je suis à Samena, en maillot, dépitée. Ca me donne envie de crever dans une paella pas fraiche.
Enfin, après dix minutes tellement longues que je me sens vieillir, un éclair de lucidité frappe à la porte du temple qu’est le neurone qui me reste :
- Dis-moi, ma chérie, comment on ferait si on n’avait plus de batterie ?
- Parle pas de malheur, hein…
(Oui, quand on commence à discuter avec son neurone, c’est que c’est la lumière au bout du tunnel n’est pas très loin)
- Mais non, y’aurait pas une vraie clé cachée dans la clé électronique, du genre à rentrer dans cette serrure en face de toi ?
Illumination : imaginez le rai de lumière qui perce entre deux nuages sur ma serrure, avec un accord de do majeur en fond sonore. J’ouvre la clef, une autre clef est dedans. J’ouvre la porte. Et démarre, sans laisse mon reste.
Enfin à l’abri des loups (de mer), de la nuit qui va tomber et du froid à venir, je rentre donc chez moi. Et vous imaginez bien que je ne recommencerai pas l’expérience.
Morale de l’histoire ? Petit 1, apprendre au moins deux numéros de téléphone par cœur, petit 2, retourner au Vieux Plongeur pour leur mettre leur Minion pas efficace là où je pense, et vue la forme, ça a peut-être été fait pour. Petit 3, ne jamais arrêter d’avoir des idées, même si elles sont pourries. Sinon, on meurt.
« Une mauvaise idée vaut mieux que pas d’idées du tout. » Alphone Allais.
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