Quand je pars faire les soldes au Vieux Campeur
Ou comment croire que je fais une bonne affaire
Je fais un peu de sport en ce moment. Bon, d’accord, beaucoup de sport, diraient ceux de mes amis qui n’ont pas vu l’ombre d’une basket depuis la terminale : selon les semaines, les envies, les occasions, les emplois du temps, les voyages, les longs week-ends, les gloutonnages et la motivation, cela varie de cinq à dix heures de cardio, de musculation, de programmes personnalisés grâce à un fiancé aussi gravement perturbé que moi dans le dessin de la silhouette, et de footing, quand je suis bien lunée, ou très mal, ou quand je trouve un ami pour m’accompagner dans les foulées matinales du côté de l’Ile Marrante (celle-là même dont la piscine ferme à 13h le dimanche).
Je fais donc un peu de sport en ce moment, et à des niveaux divers, ce qui n’arrange pas mes affaires en matière d’équipement lorsque je dois remplacer mes chaussures : puisque n’ayant pas l’intention d’avoir autant de paires que de disciplines pratiquées, il me faut quelque chose comme la Roll’s de la tennis, le Kitchen-Aid de la basket, le Karl-Zeiss de la godasse de sport.
Je fais donc un peu de sport, un concept qui m’aurait bien fait rire il y a quelques années quand je me mettais une cartouche de JPS noires par semaine dans les poumons et que je ramassais grave, comme on dit, dès que je tentais un sprint de vingt mètres après un bus. D’ailleurs je ne le tentais même pas.
Cet été-là, alors que les amortis de mes chaussures actuelles répondaient aux abonnés absents depuis un temps certain, envoyant inlassablement des percussions toujours un peu plus fort dans des articulations qui commençaient à douter du côté farce de la chose, j’avais donc décidé d’aller dans LE temple du sportif , le saint-des-saints pour initiés tatillons, la Mecque du coureur : Au Vieux Campeur, pour y trouver LA marque qui me convient.
Le Vieux Campeur, à côté de ses collègues et néanmoins concurrents que sont Décathlon ou Go Sport (je ne cite même plus Citadium tant ils ont fini par oublier que leur concept de départ était le sport) présente l’avantage certain d’avoir comme vendeurs des gens plus que compétents : rien qu’à les regarder, ça sent la piste de ski en télémark, le baudrier, le noeud en huit ou le Marathon de New York. C’était donc l’assurance pour moi d’un conseil plus que personnalisé, d’autant que lesdits vendeurs n’hésitent pas à vous faire courir dans la rue pour vérifier vos appuis (pronateur, supinateur ?) et vous conseiller la marque la plus adaptée à votre morphologie ou vos défauts.
Ca, c’est l’avantage.
En revanche, au Vieux Campeur, on doit composer avec un inconvénient non moins certain : un magasin situé en plein Paris, dans un quartier que j’affectionne particulièrement, certes, le cinquième, rue des Ecoles. Pour un parisien amateur de Vélib’, ce serait plutôt une bonne nouvelle. Pour la banlieusarde pressée et véhiculée que je suis, ça frôle l’incompatibilité car le quartier a préféré mettre en jachère ses places de stationnement au profit des couloirs de bus et des stations de taxi, là où Décathlon n’hésite pas à prendre d’assaut les centres commerciaux accessibles aux parkings immenses et gratuits.
Cet été là, pour remplacer mes chaussures définitivement foutues, j’avais décidé de profiter des soldes et étais donc partie, un samedi après-midi, en voiture, en direction du cinquième.
Si l’on connaît les conditions de circulation dans Paris le samedi après-midi du côté d’Haussman, qu’un grand auteur de ce siècle a déjà dépeint, sachez que celle qui jonchent les sentiers menant au cinquième arrondissement n’ont rien à leur envier.
C’est donc avec le soutien de Rires et Chansons (et surtout de Rires), que j’ai réussi à atteindre la rue des Ecoles en quelque deux heures (sans exagération aucune) passées à créer des files improbables dans la circulation, tutoyant les voies de bus comme si c’étaient de vieilles copines, manquant régulièrement d’envoyer un Vélib’ inconscient (un Vélib, quoi) vérifier si les urgences de la Salle Pétrière sont plus efficaces que celles de Neuilly, insultant dans toutes les langues les piétons qui se prenaient pour Highlander, les deux-roues qui pensaient que leur statut de décapoté intégral circoncis leur octroie celui de prioritaire, les taxis impatients de livrer leur client à bon port et/ou de rentrer au dépôt, les flics en embuscade prêts à défourailler leur carnet de verbalisation au moindre feu orange (mais non il était pas rouge) et, enfin, tous les autres automobilistes qui, comme vous, en avaient ras le pare-soleil de dépenser leur salaire mensuel en une après-midi d’essence.
Arrivée au Vieux Campeur, je regarde les chaussures, demande conseil selon la fréquence de mes séances d’entraînement et le vendeur finit par me montrer deux ou trois paires, chères même en solde.
- Et les jolies à 50 €, là ?
- Oui, si vous voulez les changer dans deux mois, c’est une possibilité…
Alors, bon. Est-ce qu’on pourrait m’expliquer un jour pourquoi les bonnes chaussures de sport sont systématiquement conçues dans des tons criards qui ne vont avec AUCUN des vêtements que vous avez acquis exprès pour traîner et vous entraîner à la salle ? Alors que les chaussures pas chères sont forcément plus avenantes ? Ca se mérite, de faire du sport dans des bonnes conditions ? Il faut aller au-delà de ses goûts personnels pour montrer qu’on n’est pas une tapette/ une lesbienne / une grosse truie et qu’on en veut ? Qu’est-ce qu’ils ont les gars du design chez Adidas ou chez Asics ? On les recrute sur leur mauvais goûts, on leur donne des champignons hallucinogènes à la cantine, on les fait bosser dans le noir, on les interdit de pause-pipi, on leur colle des vidéos de Véronique et Davina toute la journée sous les yeux en guise de rééducation, comme dans Orange Mécanique ? Ca fait partie de la stratégie marketing qui dit que performance rime avec fluo ?
Et est-ce qu’on pourrait aussi juste faire communiquer un jour les équipes de conception chaussures avec celles des vêtements, histoire d’éviter que les uns ne sortent pas des collections dans les tons de mauve violets quand les autres sont résolument partis sur une ambiance Bouygues Telecom ? Comme si transpirer deux litres d’eau, avoir le souffle coupé et le teint rouge écarlate, et sentir aussi bon qu’un poney au réveil d’une cuite ne suffisait pas à avoir l’air ridicule, il faudrait en plus qu’on nous habille comme des guignols ?
Réussissant enfin le double challenge de mettre la main sur (ou le pied dans) une paire à ma pointure et qui me seille (d’un point de vue confort, j’entends), je passe à la caisse payer ma super occase de la journée, faisant l’économie de quelque trente euros sur le prix initial. Merci les soldes.
Ravie de mon achat malgré les deux heures de route (définitivement, être sportif, ca se mérite), oubliées comme les dix heures de travail obstétrique d’une jeune-maman, je retourne à mon véhicule que j’avais garé un tantinet à l’arrache, après avoir renoncé, au bout de quatorze tours de pâté de maison, à parquer mon char dans une place digne de ce nom (oui, être sportif, ca se mérite, jusque là…).
Et qu’est-ce qui m’attendait sur le pare-brise ? Une prune à trente euros.
« Rien ne se perd, rien ne se crée. Tout se transforme. » [Lavoisier].
Depuis, j’ai pris ma carte chez Décathlon.